Portrait : Gérard Lo Monaco, le roi du pop-up

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Artiste du livre, décorateur de théâtre, éditeur, magicien du livre animé et créateur des Associés Réunis. Difficile de résumer le parcours d’un touche-à-tout passionné, modeste et génial à la fois. Une rencontre avec Gérard Lo Monaco sous forme d’un premier bilan.

 

Comment tout cela a démarré pour vous ?

Mon apprentissage du livre s’est fait auprès des Presses Universitaires de France, à l’âge de 20 ans, où j’ai été initié à la typographie au plomb, puis aux Éditions Tchou, avec le typographe Philippe Shuwer. J’ai eu l’opportunité de créer des couvertures, des collections, aux typographies précieuses ; cet éditeur très en avance sur son temps avait le goût des livres rares, aux aspects ésotériques.

Les réeditions du marquis de Sade, ou Histoire d’O, Les Murs ont la Parole, Les Guides Noirs étaient mes terrains de jeu. J’ai eu l’opportunité d’habiller ces titres avec des vignettes collées dans des cuvettes, toiles, gaufrages, pâtes à chaud, dorures, jaspages, papiers de recouvrement précieux. Delpire, André Balland, Jean-Jacques Pauvert, plus tard, m’ont donné le goût des livres aux belles typographies, aux contenus littéraires de valeur. Je poursuis cette démarche de rechercher l’aspect du beau livre, avec des fabrications courantes, des moyens d’impression et de reliure industrielles, qui permettent d’obtenir des prix accessibles à tous.

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Comment s’est passée cette rencontre avec la troisième dimension ?

C’est avec le Grand Magic Circus et ses animaux tristes, en 1966, que la rencontre se produit. Un Argentin, Jérôme Savary, est à Paris, il m’engage dans sa troupe foraine. Je participe à la construction et aux décors de scène de Zartan, le premier spectacle du Magic Circus. Je me suis souvenu, pour concevoir Le Petit Prince, premier livre animé de 64 pages, des rudimentaires décors, des châssis de toiles peintes, des silhouettes en contre-plaqué, et des artifices laissant voir les secrets de montage de ses éphémères constructions. Les changements de décors n’étaient pas dissimulés par des jeux de lumières, rideaux et pendrillons, réservés au théâtre classique, ici tout était montré “à vue”.

Je me suis inspiré de ce procédé pour Le Petit Prince, économisant des pages en collant “à vue” les éléments de papier, qui ne sont pas dissimulés. La pratique du décor de scène (j’ai été constructeur et décorateur au TNP Chaillot, et peintre en trompe-l’œil à l’Opéra Garnier), m’a conduit au livre animé. J’aime les décors, et le livre pop-up me paraît avoir des ressemblances. L’espace scénique, l’espace de la page, l’illusion de la profondeur, la perspective sont présents dans l’un et l’autre. Ce qui m’intéresse dans le livre animé c’est la recherche de l’effet d’apparition-disparition du décor, l’escamotage nécessaire aux changements de lieux, comme sur la scène d’un théâtre.

L’occultation des volumes qui s’opère au pliage des pages produit un spectacle, une dramaturgie, qui est l’âme du livre animé. Le lecteur est acteur, il s’improvise magicien en ouvrant et fermant les pages et par ce jeu nous convie à une représentation. Robert Houdin, Méliès dans un tour de prestidigitation fameux, sortaient d’un carton à dessin des objets, des merveilles qui apparaissaient et disparaissaient par enchantement. Je me suis intéressé aux automates, j’en ai fabriqué. Concevoir des mouvements avec des cames, pignons, tiges, vis sans fin et mécaniques ingénieuses pour animer des sujets, c’est de l’ingénierie, utilisant le métal, au lieu du papier. 

Le pop-up, le livre animé, simule le vivant avec de l’artificiel. Utilisant le factice, il cherche à représenter la vie. En actionnant les pages des livres, nous sommes consentants et nous participons à un simulacre, un jeu truqué, où le déroulement est organisé, la pièce jouée d’avance, artificiellement programmée. Nous nous laissons avec délices troubler, comme dans les premiers jeux de l’enfance.

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L’aspect le plus marquant de votre activité reste le livre animé.

Les livres animés auxquels j’ai participé, ou que j’ai initiés, comme directeur artistique, ou éditeur, ceux que j’ai signés comme auteur, ont une visibilité plus importante que les créations graphiques classiques du studio Les Associés Réunis, et font penser que c’est là l’aspect le plus marquant de mon activité. Le livre animé fait l’objet de toutes sortes d’attentions, salons et dédicaces, lecteurs, collectionneurs, ateliers pour les enfants, expositions, et sa nature ludique le désigne comme un objet de spectacle.

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Vous avez adapté pour Gallimard Le Petit Prince ou encore Moby Dick. Selon vous, qu’apporte le pop-up à l’hypotexte ?

L’idée du livre Le Petit Prince était de créer une édition contenant le texte intégral de Saint-Exupéry. Pour cela 64 pages étaient nécessaires, et pour un livre pop-up, c’est à ma connaissance sans précédent. Les dessins sont animés par des systèmes différents, empruntés au langage de l’ingénierie papier, en respectant la mise en page et la typographie de la première édition. Notre contribution, aux Associés Réunis, en charge de la réalisation du livre, était de respecter le sens des images, de traduire la douceur et la poésie, sans contrarier l’innocence des images.

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Quel est ce projet autour de Sonia Delaunay ?

Le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, à travers Paris Musées, m’a demandé de créer un livre pour les enfants, ayant pour sujet l’artiste Sonia Delaunay. L’exposition a eu lieu en 2014 à Paris, et a ensuite été présentée à la Tate Modern de Londres, en 2015, accompagnée d’une édition du livre en anglais. J’avais à ma disposition l’œuvre de Sonia Delaunay, et une liberté totale pour concevoir le livre et ses animations. Les dessins, gouaches, ou peintures sont mis en volume, très simplement par un pli central qui leur donne un relief, et une présence insolite. La contrainte première était de faire imprimer et façonner le livre en Europe. Pour obtenir un prix de fabrication intéressant, je n’avais pas la possibilité de rapporter des pièces collées, qui auraient alourdi le prix de revient.

 

gerard-lo-monaco-op-up-artiste-livres-animes-6Quel est votre projet le plus intime ?

J’ai imaginé et commencé Le Livre des Jouets de Papier il y a quatre ans, puis mis de côté, cédant la place à d’autres travaux. Le livre à ce moment-là, n’avait pas trouvé sa forme définitive : une collection de jouets en papier. Je n’ai pu retenir, pour former le livre avec hélium, qu’une dizaine de scènes, étant limité par le nombre de doubles pages possibles. J’ai en réserve un nombre important de sujets réalisés, qui feront peut-être l’objet d’une autre publication. J’ai utilisé pour l’ingénierie papier une technique classique, avec des apports nouveaux, simples, correspondant aux effets de volumes recherchés.

 

Médiathèque Françoise Sagan : 8 Rue Léon Schwartzenberg, 75010 Paris. Ouverte le mardi, jeudi et vendredi de 13h00 à 19h00, le mercredi de 10h00 à 19h00, le samedi de 10h00 à 18h00 et le dimanche de 13h00 à 18h00.

Auteur : Michel Lagarde. Photos : Olivier Placet.

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