Les amoureux du Village Saint-Martin et du vieux Paris ne peuvent ignorer ce restaurant familial. Chez Maurice et Céline, c’est une partie de l’âme du Canal… Et du 10ème arrondissement. Ce sont les grands-parents de Céline Pierquin qui rachètent l’immeuble en 1948. Une pension de famille fondée en 1850 et dont ils ne changeront pas le nom : Le Bourgogne.
Sa grand-mère – c’est elle qui mène les affaires ! – originaire de Haute-Savoie arrive à Paris à la Libération après s’être cachée en Auvergne en 1942. Un passage en région qui fit d’elle une “Auvergnate de Paris”, un bougnat d’adoption. “Rue des Vinaigriers, il devait exister 17 cafés avant la guerre de 40 ! Y compris des bougnats” évoquait Maurice, son fils, né en juin 1943 et père de Céline.
Au Bourgogne, se retrouvaient le soir les résidents de la pension mais surtout, dès 11h30, les ouvriers du quartier, ceux des billards Seguin ou des briquets Dupont. Léo Malet, le créateur de Nestor Burma, qui travaillait autrefois chez Hachette comme emballeur aux côtés du père de Maurice avait lui aussi sa table, celle des habitués.
Maurice reprend l’affaire familiale entre 1973 et 1974 (autrement dit entre le premier choc pétrolier et l’élection de Giscard à la barre !). À l’époque, Céline a deux ans et le restaurant devient pour elle une immense salle de jeux. Début 1975, Maurice met fin à la partie hôtel. Les 39 petites chambres louées à la semaine ou au mois laissent place à des habitations où résident toujours aujourd’hui Céline, Maurice et leur famille. Dans les années qui suivent, le 10ème n’est pas encore “The place to be” d’aujourd’hui. Cela n’empêche nullement Bernardo Bertolucci et Maria Schneider de venir “casser la croûte” au Bourgogne lors du tournage du Dernier Tango à Paris ou Gérard Depardieu de s’y rendre en travesti, pendant celui de Tenue de Soirée. C’est du reste au Bourgogne qu’aura lieu le dîner de fin de tournage du film de Bertrand Blier.
À cette époque, le samedi soir, c’est caf’conc. Marcel Mouloudji, Catherine Sauvage ou Cora Vaucaire viennent y pousser la chansonnette, tandis que Les Négresses Vertes se contentent d’y manger. En 2000, après avoir tenté de faire venir Arthur H, mais affolé devant l’afflux de réservations, Maurice met fin aux soirées du Bourgogne. D’autant que, si elle tient encore le bar, Céline va bientôt donner naissance à sa fille. Un bonheur partagé par les fidèles de l’époque : Philippe Salaün, habitant Rue Beaurepaire depuis 40 ans, photographe et tireur des clichés de Robert Doisneau, Willy Ronis, Sebastiào Salgado ou les illustrateurs Michel Bridenne et Michel Granger. Pour eux et les nombreux guides touristiques canadiens ou japonais qui le citent, le Bourgogne, même sans ses chanteurs, reste l’image de Paname.
Depuis les années 50, le décor n’a pas réellement changé : lumières tamisées, nappes à carreaux rouge et blanc vintage, ardoises annonçant les menus, gravures aux murs. L’accueil non plus, toujours chaleureux et familial. En revanche, la carte varie tous les jours : andouillette, tartare coupé au couteau, fondue savoyarde ou tartiflette, pavé de rumsteak, fromages puis crème brulée ou profiteroles maison.
Et du côté de la “douloureuse” me direz-vous ? Aucune mauvaise surprise, un menu avec entrée, plat et dessert coûte le plus souvent le prix d’un plat unique ailleurs !
“La clientèle vient de tous les coins de Paris, j’ai même parfois l’impression qu’il y a du bourgeois qui vient s’encanailler pour pas cher.”
Voilà ce que déclarait Maurice il y a quelques années, dans le livre “Je Me Souviens du Canal Saint-Martin” de Marie Babey (Parigramme, 1996). Sauf qu’aujourd’hui, les bobos sont sur place !
“En revanche, précise Céline, ce qui a réellement changé dans le quartier, c’est la concurrence des restaurants, mais également la clientèle ! C’est agréable de voir de nouvelles têtes mais il y a moins d’habitués. Ceux qui venaient tous les jours, avaient leur table habituelle, leur rond de serviette et demandaient qu’on leur offre le café ou l’apéro”. Pourtant, même si elle manque parfois un peu d’énergie, la passion habite toujours Céline. “Lorsqu’il faut partir à Rungis à minuit, c’est pas simple !”
La “patronne” regrette surtout le temps béni où permis et normes concernant les ERP (établissements recevant du public) n’étaient pas plus importants que ce qu’il y a dans l’assiette : “La porosité du sol, les caisses sécurisées, la largeur des portes, les accès X ou Y, les frigos, les toilettes… Les normes sont de plus en plus contraignantes et dissuasives. Je préfère passer plus de temps en cuisine !”
Depuis 5 ans, pourtant, Le Bourgogne peut jouir de sa terrasse. Un moment agréable lorsqu’arrivent les beaux jours. Ah, j’allais oublier : les grands-parents de Céline, nés tous les deux en 1913, s’appelaient déjà Céline et Maurice… Quand je vous dis que “c’est une histoire de famille !”
Retrouvez Céline dans leur restaurant “Le Bourgogne” : 26 Rue des Vinaigriers, 75010 Paris. 01 46 07 07 91. www.restaurantlebourgogneparis.fr
[…] dans les années 80, il n’y avait que Maurice et Le Bourgogne pour manger entre copains dans un lieu sympa. J’y ai mangé un jour sur deux pendant des années. […]