Après des années de dur labeur, Christian Tholoniat a passé la main à Kévin et Gnagalé Bézier. C’est désormais ce couple de pâtissiers-chocolatiers qui va redonner vie à la plus célèbre pâtisserie du Village Saint-Martin et à son mythique Semifreddo. Un lieu qui fête dans quelques semaines ses 80 ans.
Après son apprentissage où il a découvert le métier de pâtissier en province, Étienne Tholoniat (1909-1987) “monte à Paris”. En 1938, il décide d’ouvrir sa pâtisserie au n°47 de la rue du Château d’Eau, au cœur de l’actuel Village Saint-Martin, entre un coiffeur pour dames et une boutique de draperie. À l’époque, l’immeuble au-dessus de la pâtisserie n’existe pas encore.
En 1939, Étienne Tholoniat est mobilisé et fait la connaissance de Paul Lacombe, créateur de la brasserie Léon de Lyon, qui deviendra son meilleur ami. Les deux hommes sont faits prisonniers puis s’évadent ensemble avant que Tholoniat ne parte seul se cacher à Saint-Étienne jusqu’à la fin de la guerre. À la libération, il rouvre sa pâtisserie mais se découvre également une passion pour le travail du sucre.
Il enchaîne les victoires de tous les concours internationaux de l’époque et se fait une solide réputation, jusqu’en 1952 où il est élu Meilleur Ouvrier de France, titre qui lui confère une notoriété internationale. Il devient l’un des premiers pâtissiers français starisé au Japon, ses clients de l’époque se nomment Auriol (Vincent, le Président de la République mais également Jacqueline, l’aviatrice), le Président Truman ou la Reine Élisabeth d’Angleterre.
En 1964, c’est le Pape Paul VI qui lui commande une corbeille en sucre aux couleurs du Vatican pour son voyage historique entre Rome et Bombay. Trois ans plus tard, en 1967, son fils Christian, né en 1942 et formé essentiellement à l’école paternelle, le soulage et reprend l’affaire familiale. Ils travailleront côte à côte pendant 25 ans ! Christian fabrique tout maison, bien avant la grande tendance du Do It Yourself : tartes Tatin (exceptionnelles !), marrons glacés, chocolats, confitures, pâtes de fruits… Et son emblématique création : le Semifreddo !
C’est au milieu des années 1960 (“1965 ou 1966”, lui-même ne sait plus !) que Christian Tholoniat donne naissance à ce gâteau glacé qui, depuis sa création, fait courir de fidèles gourmands : des anonymes mais également Francis Huster, Valérie Lemercier, Pierre Tchernia, Bernard Rapp ou encore Francis Kurkdjian le célèbre parfumeur. Plus surprenant, Yvonne de Gaulle n’hésitait pas à faire stopper, le vendredi matin, la DS présidentielle devant le magasin pour se l’offrir.
Après les grossistes, essentiellement en habits pour enfants dans les années 1970, ce sont les salons de coiffure afro qui arrivent dans le quartier au début des années 1980. Beaucoup partiront mais Tholoniat reste, fidèle à son quartier historique. Trente ans de bon gâteaux plus tard, Christian Tholoniat et sa femme Maryse “toujours avec lui du soir au matin et du matin au soir” – évoque Mimi, fidèle depuis sept ans –, ont envie de retraite et de soleil.
En 2010 Christian jette le tablier et plusieurs investisseurs ou pâtissiers tentent de reprendre, en vain, la bonne marche de la maison. La maison Tholoniat bat de l’aile jusqu’en avril 2017 où Kevin Bézier et sa femme Gnagalé Sissoko décident de reprendre l’enseigne. Depuis le départ de Christian, ils fournissaient déjà la maison, via Baisers sucrés, en bûches de Noël et pâtisseries.
C’est maintenant l’occasion rêvée de donner vie à leurs créations sucrées si originales au sein d’une boutique ayant pignon sur rue. Comme élève puis instructeur, Kévin Bézier a longtemps fréquenté les cours de l’école Lenôtre. Un enseignement reçu et donné dans une salle de cours du nom d’Étienne Tholoniat. “C’est peut-être ce jour là que je me suis dit que cette boutique était pour moi ?” Aujourd’hui, indélébile, le nom Tholoniat est toujours sur la devanture de la rue du Château d’Eau.
Gnagalé et Kévin Bézier
À l’âge de 20 ans, Kévin s’expatrie deux ans à Londres où il découvre dans les palaces de la City une nouvelle façon d’aborder la pâtisserie haut de gamme. De retour à Paris, il intègre le célèbre hôtel Lutétia comme chef de partie. Il œuvre ensuite au Pergolèse, devient sous-chef au Georges V et enseigne à l’école du Ritz-Escofier. Fort de son expérience, il développe en 2010 Pâtisserie Consulting, une activité de formation et conseil en pâtisserie et chocolaterie pour les professionnels.
En 2013 il fonde – avec sa femme Gnagalé Sissoko, pâtissière qui a également fait ses preuves chez les plus grands – Baisers Sucrés, un service de sous-traitance à destination de maisons de renom comme Potel & Chabot ou Raynier Marchetti. Depuis, Gnagalé apporte sa créativité, ce savant et succulent métissage culinaire guidé par ses origines africaines. Grâce à elle, Baisers Sucrés se démarque au travers de notes parfumées. Gnagalé et Kévin Bézier viennent de redonner tout son prestige à la maison Tholoniat.
Le Semifreddo
“Un gâteau simple et efficace dont les origines se trouvent dans le nord de l’Espagne” déclare Kévin Bézier. Une crème Yema (à base d’œufs, de sucre et de beurre) mélangée à une crème pâtissière fouettée “mais pas trop montée” pour conserver sa légèreté. L’ensemble est accompagné d’éclats de nougatine aux amandes et le tout est glissé entre deux biscuits génoise.
La surface est ensuite saupoudrée de sucre pour effectuer une caramélisation au fer chaud. Ici, point de chalumeau mais un appareil en fonte, comme le veulent les traditions portugaise et catalane. Le Semifreddo est ensuite conservé au congélateur – c’est un gâteau glacé – avant d’être sorti une heure avant sa dégustation semi-glacé… D’où son nom !
Baisers Sucrés – Boutique Tholoniat : 47 Rue du Château d’Eau, 75010 Paris. Tél : 01 42 39 93 12. www.baiserssucres.com