Patrick Marsaud, un enfant de Paname

Patrick Marsaud © Cécile Lemaitre.

Il connaît Paris comme sa poche et lui voue une passion sans limite. En tant qu’agent immobilier, d’abord, mais aussi comme auteur du blog John d’Orbigny, du nom de son agence. Un rendez-vous dominical toujours très attendu sur Facebook. Patrick Marsaud publie aujourd’hui deux livres qui viennent tout juste de sortir, consacrés, bien évidemment, à Paris !

Comment passe-t-on d’agent immobilier à auteur ?
Patrick Marsaud : L’immobilier, je suis tombé dedans par hasard. Une amie travaillait dans une agence et m’a évoqué cette possible voie. Ce n’était pas une vocation et on peut s’en lasser très vite. Après dix-huit ans dans un gros réseau, avenue de la République, nous avons décidé en 2009, avec mes deux associés, de créer notre propre agence et de nous éloigner des grandes franchises qui ne nous correspondaient plus.

Et vous avez commencé à « réseauter » ?
Sans enseigne connue ni appui logistique d’une franchise, se démarquer et intégrer les réseaux sociaux est indispensable. À l’époque, c’était uniquement sur Facebook où j’avais lancé une page consacrée à des brèves sur l’immobilier. Bien naturellement, ça n’intéressait personne ! Même si parler d’immobilier, c’est aussi parler de l’histoire d’un quartier, de ses immeubles et de ses habitants. J’ai commencé à parler de Paris par le biais de la photographie, en ciblant une époque où les gens en faisaient encore peu, jusqu’à la fin des années 70. Ensuite, et surtout après l’arrivée du numérique, tout le monde a fait des photos, bien souvent la même, cela n’a plus d’intérêt. L’intérêt, c’est la rareté.

Pouvez-vous nous parler du blog John d’Orbigny ?
Chaque dimanche, je publie des photos et raconte l’histoire d’une rue, d’une personne, d’un bâtiment, une gare par exemple, ou une année dans la vie à Paris. Ce sont le plus souvent des documents rarement vus. Je fais énormément de recherches, des heures par semaine en plus du travail de l’agence, car je souhaite vérifier sérieusement les sources et ne pas publier n’importe quoi. C’est une manière de parler de Paris tout en traitant d’immobilier. Le plus difficile pour moi reste de retrouver des images des quartiers populaires ou industriels, tellement il y a peu d’informations et de photos pour la première moitié du XXe siècle. Résultat, grâce au simple bouche-à-oreille, ma page compte plus de 60 000 abonnés dont les commentaires me permettent parfois d’apprendre de nouvelles choses. Finalement, celui à qui cette page fait le plus plaisir, c’est moi ! À ce jour, j’ai des dizaines de publications en cours, « ouvertes », prêtes à être complétées et publiées, peut-être dans plusieurs mois. Dans chaque rue de Paris on peut trouver des histoires, et lorsque l’on raconte des histoires aux gens, ça marche toujours !

© Jean-Baptiste de Baudouin

Comment s’est passée votre rencontre avec Michel Lagarde ?
Par hasard, il y a environ six mois. Il m’a contacté pour partager une publication avec des dessins de Jean Lébédeff qu’il avait acquis dans une vente aux enchères. Étant très sollicité, j’y ai d’abord jeté un œil distrait. Et puis, devant la qualité des images, nous nous sommes rencontrés. Michel voulait en faire un livre (Le Faussaire) et souhaitait que j’écrive les textes. De mon côté, j’avais un autre projet de livre, Belleville 1965. Finalement nous avons fait les deux !

Parlons justement de Belleville 1965
C’est une promenade très vivante dans le Belleville de 1965, un peu plus d’un siècle après le rattachement de Belleville à Paris. Une balade d’environ deux kilomètres, du canal Saint-Martin jusqu’à l’église Saint-Jean-Baptiste de Belleville en passant par le métro Jourdain et République et la rue du Faubourg du Temple. Ces images ont été prises par un dessinateur industriel bellevillois, Jean-Baptiste de Baudouin. Elles nous plongent dans un quartier en pleine mutation, avec ses primeurs et ses cinémas mais également avec ses immeubles et ses ruelles qui allaient disparaître. Ces photos en couleurs, rares à cette époque, constituent un magnifique témoignage sur un Paris oublié.

Que vous évoque le 10e ?
Tout comme le bas de Belleville, rue du Faubourg du Temple, pour moi le 10e et le 11e forment un peu un même quartier. Il n’y a finalement que la place de la République au milieu. République, Goncourt, Parmentier… c’est la même sensibilité. Idem pour le boulevard Saint-Martin, à cheval sur le 3e arrondissement, dans ce que l’on nomme le « haut Marais », c’est un axe vers République. Le 10e, c’est bien sûr l’emblématique canal Saint-Martin que j’ai connu à mes débuts comme agent immobilier, en 1992. C’était un lieu à l’abandon, un no man’s land sans aucun commerce. Rue Beaurepaire, il n’y avait que des grossistes en tapis. On imagine mal aujourd’hui la rue à cette époque ! Un jour, une femme m’a demandé de venir visiter son bien dans un immeuble quasiment à l’abandon, rue Jean-et-Marie-Moinon. Une partie de l’immeuble était squattée par des Maliens qui avaient percé les parties communes pour installer un monte-charge. Je n’avais jamais vu ça ! Tout comme au 5-7, rue Jacques-Louvel-Tessier, devenu le plus grand squat de Paris. À cette période, le mot d’ordre était : On dégage tout pour faire du neuf ! Heureusement, ça ne s’est pas fait. Je pense que l’arrivée de la gauche à la mairie du 10e, en 1995, puis surtout le changement de majorité municipale en 2001 y sont pour quelque chose. Autrement, dans un autre style, il y avait le boulevard de Magenta, un tracé haussmannien sans aucune vie. Un axe rouge, entièrement destiné à la voiture, utilisé pour quitter Paris ou rejoindre les gares. C’était désespérant, il n’était pas question à l’époque de pistes cyclables !

© Jean-Baptiste de Baudouin

C’était un arrondissement très populaire ?
Oui ! La rue Bichat jusqu’à l’hôpital Saint-Louis, les rues Marie-et-Louise et Alibert, l’avenue Richerand, la rue de la Grange aux Belles… Et puis l’avenue Parmentier qui s’éteint au commencement de l’avenue Claude Vellefaux, la rue Saint-Maur bien sûr, et tout le pourtour de la place Sainte-Marthe, que les voitures contournaient encore. Les commerces périclitaient. Le passé ouvrier a disparu puisque la population qui vivait ici est partie, chassée par les promoteurs et la hausse vertigineuse des prix. En 1996, on pouvait encore trouver des appartements pour 6 000 francs le m² (915 € environ). Et le pire, c’est qu’ils étaient difficiles à vendre car les immeubles étaient dans l’ensemble très vétustes. Comme les WC étaient sur le palier et que la seule canalisation d’eau se trouvait dans la cuisine, il était compliqué d’y installer une salle de bains et des toilettes. Les WC broyeurs restaient la seule solution. Progressivement, lorsque les prix ont commencé à remonter en 1997, les populations venant de l’ouest parisien, devenu trop cher, sont arrivées autour du canal. Des gens plus jeunes, avec plus de moyens et d’exigences. Beaucoup de réhabilitations et de rénovations ont alors commencé. Tout le monde voulait un loft dans ces années-là ! Rapidement, les habitants ont retrouvé des bistrots et des commerces de proximité. Même l’hôtel du Nord qui devait être démoli fut réhabilité. Le vieux Paris fait toujours vendre, même si en l’occurrence le film fut tourné en studio. Les prix se sont envolés. Aujourd’hui, ce ne sont plus les mêmes quartiers, ce n’est plus la même population.

Comment voyez-vous demain ?
Le 10e est très hétéroclite, il y a de tout : des petits coins très agréables, mais aussi deux gares pas toujours fréquentables ou encore Strasbourg-Saint-Denis. Il ne faut pas se leurrer, il reste encore quelques parties de l’arrondissement à rénover afin que naisse une vraie vie de quartier agréable pour les habitants, comme à Oberkampf ou dans une partie importante de Belleville.

Les deux livres de Patrick Marsaud, parus aux éditions Michel Lagarde, font l’objet d’une exposition rassemblant des photographies de Jean-Baptiste de Baudouin et des dessins de Jean Lébédeff à la galerie Treize-Dix, 13 rue Taylor, 75010 paris du 19 mai au 15 juin 2021.

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