Mette Ivers, la peinture et le rêve

Mette Ivers dans son atelier © Anne Barot.

Mette Ivers est une artiste rare qui a illuminé de son trait délicat les chefs-d’œuvre de la littérature de l’enfance, d’Andersen à la comtesse de Ségur. Nous partons à la découverte de son merveilleux atelier dont les fenêtres surplombent l’église Saint-Laurent.

Mette Ivers est une artiste d’une extrême délicatesse dont le travail s’immisce discrètement depuis plus d’une soixantaine d’années dans de nombreux livres illustrés pour la jeunesse. Elle a mis son trait au service des plus grands écrivains, en particulier Hans Christian Andersen. Son atelier regorge de merveilles, dessins, tableaux ou illustrations dont beaucoup n’ont pas eu les honneurs des cimaises des galeries. Son travail est redevenu visible lors d’une exposition à la galerie Martine Gossieaux en 2018. J’ai eu le plaisir de découvrir d’autres trésors cachés à l’occasion de la préparation d’une rencontre à la médiathèque Françoise Sagan avec trois autres grandes dames de la littérature jeunesse. Cette Française d’origine danoise a découvert à 15 ans dans un livre les peintres du début de la Renaissance italienne, Masaccio, Piero della Francesca, Paolo Uccello, qui la marqueront à jamais. Elle tente de capter « l’étrangeté cachée des choses » qui donne du mystère à ses peintures.

Michel Lagarde : Comment se sont passés vos débuts dans le métier ? Quelles étaient vos aspirations profondes ?
Mette Ivers : Depuis toujours, j’ai rêvé d’être peintre et d’exister en tant que peintre. Dans les années 1959- 1960, on était en pleine vogue de l’art abstrait et moi, je peignais des toiles très figuratives. Mes tentatives d’approche de diverses galeries n’ayant débouché sur aucun projet, je me suis tournée vers l’illustration qui pouvait me servir de gagne-pain en attendant que ma peinture trouve un public. J’ai aimé le travail d’illustrateur car j’ai toujours aimé les livres. Enfant, je lisais beaucoup et je regardais avec passion les gravures et les dessins qui ornaient les éditions souvent anciennes que l’on me donnait à lire. Comme je dessine depuis toujours, j’ai trouvé tout naturel de dessiner à mon tour des images pour les textes que l’on me proposait. Fin 1961, j’ai montré un dossier de dessins au directeur artistique du Nouveau Candide, un hebdomadaire culturel qui avait un certain succès. J’ai été reçue avec bienveillance et aussitôt engagée comme pigiste. Au même moment, j’ai commencé à faire des illustrations de livres pour le Cercle du bibliophile.

Paysage du midi.

Avez-vous trouvé votre place dans le monde des galeries ?
C’était à chaque fois une épreuve de montrer mon travail. J’apportais avec moi des tableaux de petit ou moyen format. Le silence ironique et les remarques méprisantes m’ont laissé un souvenir pénible, sans doute ma peinture était-elle trop en décalage avec le goût du moment. J’ai exposé pour la première fois en 1986 et je suis très reconnaissante à Philippe Frégnac de m’avoir accueillie dans sa galerie après toutes ces déconvenues.

Quelles opportunités aviez-vous auprès des maisons d’édition ?
J’ai eu la chance d’avoir à illustrer de nombreux textes pour le Cercle du bibliophile, des romans de François Mauriac, de Stendhal, des nouvelles de Tchekhov. Ce club éditait des séries de classiques illustrés pour adultes, encore en vogue à la fin des années 1960. Mais cette mode a décliné alors qu’à la même période s’amorçait le succès grandissant du livre de poche pour la jeunesse. Quelle place occupe la peinture dans votre quotidien ? Mon ambition a toujours été de devenir un peintre véritable. J’ai partagé ma vie entre peinture et illustration. Dès que j’avais terminé les dessins d’un livre, je me remettais à peindre. Ces deux occupations sont très différentes mais chacune permet de s’évader de l’autre. L’illustration vous oblige à suivre un texte, à le servir. C’est un travail très varié étant donné la diversité des auteurs et de leurs univers, et cette diversité m’a souvent poussée à utiliser des styles assez différents, plus ou moins fouillés. La peinture, pour moi, c’est plonger en soi-même, pour tirer comme d’un puits quelque chose d’inexprimable qui doit être exprimé. Quand parfois j’y arrive, c’est une joie. Je peins tous les jours ou bien je dessine pour la peinture. En ce moment, je fais beaucoup de dessins au fusain. Mon inspiration ? C’est difficile à dire… Je cherche à exprimer dans un paysage, une composition, un visage, quelque chose de plus que ce que je peins. Comme un arrière-plan invisible qui envoûte silencieusement.

Musiciennes.

« les contes, sous une forme symbolique, nous parlent de l’énigme de la vie. »

Les contes semblent pour vous une source d’inspiration inépuisable…
J’ai toujours aimé les contes et j’ai adoré les illustrer car sous une forme symbolique, ils nous parlent de l’énigme de la vie. Mais j’ai aussi illustré des textes d’un tout autre genre. Comme Mon ami Frédéric, paru en 1977 dans la nouvelle collection du Livre de poche Jeunesse. Ce roman de Hans Peter Richter décrit le drame vécu par un petit garçon juif dans l ́Allemagne nazie des années 1930. Pas précisément un conte de fées… ou alors un conte particulièrement sombre. Ce qui m’inspire, c’est la fantaisie, le mystère, le tragi- comique de la vie. Dans les années 1970, toutes les maisons d’édition ont lancé leur secteur « Jeunesse ». J’ai travaillé pour Gallimard, Nathan, Bordas, Bayard, en plus d’Hachette, mon principal employeur. Toujours des livres de poche ! J’avais de bonnes relations avec mes éditeurs, mais impossible de les convaincre de me donner un album à illustrer ! J’avais très envie de dessiner pour des livres en grand format, afin de réaliser des images plus ambitieuses et aussi mieux rémunérées que les illustrations pour les livres de poche. Ce n’est qu’en 1986 que les éditions Hatier m’ont permis d’illustrer mon premier album en couleurs, Le Rêve d’Angus Og, recueil de contes irlandais de Pierre Leyris. Ensuite, toujours grâce aux éditrices de Hatier, Colline Faure-Poiré et Hélène Quinquin, ont paru successivement 5 Contes (Andersen), Histoire de Blondine (comtesse de Ségur), Peter Pan (J. M. Barrie) et Pinocchio (Carlo Collodi). Après cette période faste, je suis retournée aux livres de poche. Chez Hachette, ils étaient maintenant souvent en couleurs. L’École des loisirs m’a donné des textes contemporains intéressants à illustrer (Voleuse de peluche de Florence Seyvos, par exemple) et Geneviève Brisac m’a confié l’illustration de plusieurs volumes de contes traditionnels de la collection dirigée par Nathalie Daladier. Et bien sûr pendant toutes ces années, en parallèle de l’illustration, j’ai continué à peindre et à exposer de temps en temps. À Paris et dans le Midi.

La grande table.
Le rivage.
La tour rose.

 

 

 

 

 

 

D’où vient votre passion pour Andersen ?
Andersen est un conteur à part. Il sait si bien mêler le rêve et le réel, un humour caché se glisse dans ses histoires… et puis c’est un poète, ce qui change tout. Il se trouve que me sachant d’origine danoise, certains éditeurs se disaient que je comprendrais Andersen de l’intérieur et me donnaient ses contes à illustrer. Pourquoi pas ? Je me sens très proche de lui en effet, mais aussi de Tchekhov, et pourtant je ne suis pas russe… C’est une question d’affinités naturelles, une proximité de tempérament.

Et cette attirance particulière pour Poucette ?
Si j’ai beaucoup illustré le conte Poucette d’Andersen, c’est qu’il est très simple, très beau, très profond et charmant à la fois. Après chaque illustration de ce conte, je me disais que je pouvais faire mieux alors j’en recommençais une autre, comme un pianiste qui aime rejouer sans arrêt la même sonate de Mozart pour tenter de mieux exprimer sa beauté. Ma culture n’est pas danoise, je suis née et j’ai été élevée en France, je suis française d’éducation et d’esprit, même si quelque chose de danois est aussi très présent en moi, que je reconnais dans certains récits de Karen Blixen, d’Andersen et dans la peinture intimiste et rêveuse du XIXe siècle danois. Pour moi le dessin est primordial, il est au cœur de la peinture, je me vois avant tout comme une dessinatrice mais la couleur et la texture d’un tableau me passionnent aussi. Donc je suis aussi peintre… Grâce à mes deux métiers, j’ai eu la chance de vagabonder sur des chemins très variés et passionnants.

NB : Les illustrations de La Petite Poucette présentées ici sont restées inédites à ce jour. Une édition d’estampe de 10 modèles à tirage très limité est proposée sur le site de l’association Mémoire d’Images, en attendant une probable édition du conte, à venir prochainement.
http://memoiredimages.net/2019/05/31/mette-ivers/

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