Au Centre international d’accueil et d’échanges des Récollets, aux abords de la Gare de l’Est, artistes et scientifiques de tous ordres vivent en résidence tout au long de l’année sous le regard bienveillant de Chrystel Dozias, directrice des lieux. Avec un mot d’ordre : la confiance.
À la nuit tombante, pluie battante et vents armés, je pousse les grilles de l’ancien couvent des Récollets. Blancheur douce de la bâtisse, tapis de pelouse verte et rondeur des arcs, les lieux aux fondations de plus de quatre siècles inspirent le respect.
À la réception, une voix claire m’appelle : « Hélène ! Par ici ! Bienvenue ! »
Je pénètre dans le bureau de Chrystel Dozias, chargé de travaux et d’ouvrages artistiques et culturels épars, à la manière d’un cocon. Ici, vingt ans de travail résonnent. Chevelure de feu et regard aquatique, elle décrit à sa manière le Centre international d’accueil et d’échanges des Récollets qu’elle dirige depuis 2001 :
« Les Récollets, c’est un lieu qui donne confiance. C’est la base de la réussite, à mon avis : arriver à vivre en confiance et à gagner la confiance de l’autre. Je trouve que c’est gratifiant. »
Aujourd’hui, au cœur des Récollets, artistes, scientifiques, écrivains, philosophes et sociologues de tous âges animent les lieux de leurs recherches singulières. Brésiliens en rupture intellectuelle et culturelle avec leur pays, Canadiens, Australiens, Italiens en nombre ou Asiatiques majoritairement issus des terres chinoises, près de soixante nationalités occupent les quatre-vingts logements à loyer préférentiel. Seuls ou en famille, ils bénéficient d’un temps et d’un espace exceptionnels de travail grâce au parrainage d’institutions privées ou publiques, telles que le Centre national de la recherche scientifique, l’Institut national de l’histoire de l’art, le Collège de France, le Muséum national d’Histoire naturelle, l’École des Hautes Études en sciences sociales, la Mairie de Paris, le Forum des Institut culturels étrangers, le Centre des Arts et des Lettres du Québec… Quelques théâtres y accueillent également les artistes qu’ils programment ; ainsi, des circassiens du théâtre de la Scala ou des comédiens du Théâtre de la Bastille.
Près de 300 séjours y sont enregistrés chaque année. Pour un mois, un an ; parfois plus. Certains y ont vécu pendant huit ans. D’autres ont tenté de trouver un ailleurs, dans Paris. Avant de revenir au creux du 10e, auprès d’une équipe à laquelle ils se sont attachés. De toute évidence, l’effet y est singulier. Écoute sensible, attention délicate, Chrystel accompagne avec discrétion et générosité les résidents dans une expérience qui, le plus souvent, ne les laisse pas indemnes. Pour elle, les Récollets ne sont rien de moins qu’un « laboratoire », qui permet l’effet de « transformation » ; la découverte de soi par la rencontre de l’autre.
« Il y a une question d’énergie et de rupture avec son pays natal. On devient quelqu’un d’autre parce qu’on s’affranchit d’une vie ; et on se transforme parce qu’on apprend à se connaître. Après trois mois, on les voit évoluer. C’est physique ! Parce qu’ils sont bien, ils dégagent un charme et ont du succès. Lorsqu’ils partent, ce sont les grands pleurs. Je leur dis : « Gardez cette magie que vous avez gagnée à Paris en vous découvrant. C’est comme ça que vous perdurerez. »
Artistes et chercheurs se livrent ainsi à leur réflexion et à leur création, librement. Lorsqu’ils sont prêts à rencontrer le regard de l’autre, Chrystel et son équipe aident à organiser des événements. Le centre a notamment développé des projets de programmation culturelle avec la Médiathèque Françoise Sagan, Faubourg Saint-Denis. Mais l’exposition de leurs travaux ne constitue en rien une obligation ; et c’est sans doute cette liberté qui permet l’émergence des plus belles idées.
L’accueil aux Récollets est aussi un rempart à la précarité qui touche nombre de chercheurs et d’artistes. « Tant qu’ils ne sont pas titularisés, explique Chrystel Dozias, les chercheurs doivent être à la recherche d’un contrat. Dès qu’ils ont réussi à obtenir un poste, il leur faut déjà se mettre en quête d’un autre. Ils ont besoin d’être soutenus et de se sentir en sécurité. J’essaie de les mettre en relation avec un réseau patiemment tissé, bien souvent sans qu’ils le sachent. J’aime l’idée que la résidence permette à des chercheurs ou à des artistes de donner des choses différentes. »
Ici, Dany Laferrière de l’Académie Française a écrit, depuis son studio avec vue sur la Gare de l’Est, son Autoportrait de Paris avec Chat ; la romancière québécoise Hélène Dussault s’est inspirée de l’atmosphère des Récollets pour ses Carnets du Xe ; l’Australienne Jayne Tuttle a tracé les premières lignes de son roman Paris or die, actuellement en lancement. L’historien Massimo Blasi a achevé ici L’Incredibile Storia degli Imperatori Romani, portrait singulier de 150 empereurs romains. Enfin, et non des moindres, Chrystel évoque l’énergie folle de bédéistes italiens, de Luigi Critone à Andrea Ferrari, Giacomo Nanni et Manuele Fior (Prix du meilleur album au Festival d’Angoulême pour Cinq mille kilomètres par seconde). Si je l’interroge sur les êtres qui l’ont marquée, sa voix se perd. « Une des plus belles histoires pour moi, c’est avec Gottfried Honegger. C’était le pape de l’art concret. J’ai rencontré un homme unique dans sa façon d’être, dans sa justesse, dans son courage. Il a aiguisé mon regard, il m’a appris à comprendre la valeur des choses. Quand il est parti, il m’a dit : ‘Je voudrais faire un cadeau. Je vous fais un virement. Le jour où vous avez un artiste qui n’arrive plus à payer son loyer, vous piochez dedans.’ On croit aux contes de fées quand on est petite fille ; les princes sont différents. Mais ils existent vraiment. C’est quelqu’un qui sera toujours là. »
La lune est déjà haute lorsque l’entretien s’achève ; alors que le 10e résonne bientôt de son esprit le plus festif, nous marchons dans les couloirs des Récollets. Le long des murs marqués de tags anciens, œuvres de street art, dans les salles communes aux bibliothèques bigarrées et aux vieux pianos, l’air est doux et le silence profond.
« Il y a une protection, ici », dit-elle.
Il y a encore des anges aux Récollets.
Les Récollets en dates
Fondé par Henri IV en 1607, l’ancien couvent a accueilli les frères mineurs des Récollets, ordre franciscain, jusqu’en 1792. Caserne de grenadiers pendant la Révolution, hospice des hommes incurables au 19e siècle, hôpital militaire en 1860, il a été désaffecté en 1968 avant d’abriter l’École d’architecture Paris-Villemin en 1973, durant 15 ans. Des failles de sécurité ont imposé son éviction, puis il a été occupé durant un an par le collectif d’artistes « Les Anges des Récollets », qui l’ont animé d’expositions et de fêtes technos. En 1992, un incendie les a chassés.
Depuis, les batailles ont été nombreuses ; habitants et associations du 10e ont lutté avec force pour échapper à des destins disparates et privés, comme l’installation du siège social de Virgin ou des Hôtels Hilton. Le jardin et le couvent ont au final été réhabilités et fait l’objet d’une rénovation en 2003, menée par l’agence Reichen & Robert et l’architecte Frédéric Vincendon, sous la maîtrise d’ouvrage de la Régie immobilière de la Ville de Paris à laquelle l’État a, en 1999, confié la gestion du bâtiment.
En 2003, après d’amples travaux de rénovation, le Centre international d’accueil et d’échanges a ouvert ses portes. Aujourd’hui, les Récollets abritent également L’Ordre des Architectes, son Café A et ses terrasses ombragées, et l’association 4D (Dossiers et débats pour le développement durable), un think et do tank qui œuvre pour la transition vers le développement durable.
Autrice : Hélène Thomas
Lire à sujet, le portrait de Chrystel Dozias