J15. Déjà. Notre quartier découvre le silence. On entend même les flocs des canards sur le Canal, entre deux voitures de flics.
Je sais bien qu’il faut rester chez soi. Je sens bien qu’il n’y a pas d’autre solution. J’ai compris que la crise était grave, inédite, mondiale !
Je respecte les gestes barrières. Je vis confinée. Je remplis chaque jour mon attestation de déplacement dérogatoire pour effectuer des achats de première nécessité (vin, clopes, fruits et légumes, saucisson, pour ma part). Mes déplacements sont brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour de mon domicile, liés soit à mon activité physique individuelle, soit à la promenade. J’envie les possesseurs d’animaux de compagnie.
Je m’occupe. Rangements, ménage, classement, écriture, quelques rendez-vous clients par Skype, cuisine. De bons petits plats.
D’autres fois je ne fais rien. Si tant est que s’écouter pour se comprendre ne soit pas une activité. Donc, je m’écoute. Beaucoup d’anxiété les premiers jours, avec maux de tête et du mal à respirer sans autre cause que la propagation de la Peur présente dans tous les médias à longueur de temps. De la colère la semaine dernière face au mauvais état de notre système hospitalier ; Aujourd’hui c’est une tristesse sourde qui l’emporte.
Je connais bien le cycle du deuil pour l’avoir étudié et accompagné avec mes clients. Après le choc vient le déni, puis la négociation, la colère, le chagrin et enfin l’acceptation.
Dans l’œil du cyclone, nous avons tous un deuil à faire, je crois. Deuil de nos acquis, d’un boulot pour certains, d’un être cher, ou de nos certitudes, car plus rien, jamais, ne sera comme avant. J’ai vécu le déni, je l’avoue humblement. Je pensais naïvement que nous pourrions faire face, que notre hôpital avait assez de tout : des lits, des masques, des respirateurs et du personnel…Je rougis aujourd’hui de tant de confiance aveugle.
J’ai connu la négociation (tout va bien se passer si on reste sagement chez nous, n’est-ce pas ?), j’ai exprimé ma colère.
Aujourd’hui je ressens un immense chagrin. Je pense à ceux qui sont partis seuls, ceux qui luttent encore, dans le coma, ceux qui exercent leur métier et se mettent en danger, ceux qui souffrent de solitude ou d’être mal accompagnés. Je pense à ceux que j’aime et qu’aucun rendez-vous virtuel ne rapproche vraiment.
Ma tristesse est heureusement éclairée de la joie d’être bien chez moi, en bonne compagnie amoureuse et enfantine, je mesure ma chance.
Mais notre quartier découvre le silence, comme Paris, le pays, le monde entier ou presque ! Or, à ce silence, je ne m’habitue pas. Je m’adapte, comme beaucoup d’entre nous, mais je ne m’habitue pas. Comme d’habitude, j’ai besoin du bruit des autres. On raconte que lors de la catastrophe de Tchernobyl, le silence des animaux était pesant. Aujourd’hui c’est celui des humains qui remplit tout l’espace. Il nous manque beaucoup d’arbres ici pour écouter les oiseaux chanter. Tendons l’oreille ?
Auteur : Marie-Charlotte Lanta Coach, auteure et journaliste