Les Faïences du Manoir s’affichent ! En plus d’un siècle, le N°18 de la Rue de Paradis a connu 3 vies bien différentes. Retour sur un bâtiment pas comme les autres au cœur du 10ème.
Nous sommes à la fin du XIXe siècle, près de la Gare de l’Est, où les trains acheminent les produits en provenance de Lorraine. La Rue de Paradis est alors vouée au cristal, à la porcelaine et à la faïence. Les cristalleries de Saint-Louis et de Baccarat y établissent magasins et ateliers, Baccarat y ouvrira son propre musée. Aujourd’hui encore, nombreuses sont les boutiques à proposer des arts de la table.
En 1863, Hippolyte Boulenger (1836-1892) se retrouve seul maître à bord de la faïencerie de Choisy-le-Roi, fondée en 1804. Il la renomme H. Boulenger & Cie (H comme Hippolyte Hautin, ancien héritier de la maison) et lui donne rapidement ses lettres de noblesse, décrochant de multiples récompenses aux expositions universelles. Il décide alors, en 1889, de transférer son siège social au numéro 18 de la prestigieuse Rue de Paradis et confie les travaux aux architectes Georges Jacotin et Ernest Brunnarius. La construction se termine en 1892 et cette nouvelle adresse, à la fois siège, entrepôt et magasin, doit d’abord servir de vitrine, de show-room avant l’heure.
Pour cela il faut montrer aux passants de quoi l’entreprise est capable, afficher sa créativité jusqu’à l’ostentation. Au menu, une façade sculptée surmontée d’un « H. Boulenger & Cie » en lettres d’or puis à l’entrée un décor en céramique. Le vestibule est orné de faïences et de céramiques, tout comme l’escalier à balustres et le patio servant de salle d’exposition. Des œuvres signées du peintre et céramiste A.-J. Arnoux (en charge de l’atelier de décoration) et du peintre et architecte Pierre Guidetti. Des éléments qui sont tous, depuis le 6 octobre 1981, inscrits au titre des monuments historiques. Ce n’est pourtant pas uniquement ces mosaïques et carreaux de faïence, réputés pour leur palette de coloris, qui firent la notoriété de l’établissement. En 1889, la faïencerie de Choisy-le-Roi vient de décrocher un gros contrat pour fabriquer les petits carreaux blancs, rectangulaires et biseautés du métro parisien naissant. Dans les années 1930, environ 40.000 carreaux du modèle « Métro » seront produits chaque jour.
Devenue HBCM (Hippolyte Boulenger-Creil-Montereau) après le rachat en 1920 des faïenceries de Creil-Montereau, l’entreprise voit les grèves de 1936 conduire à l’arrêt définitif de la fabrication à Choisy-le-Roi. L’activité se poursuivra sur le site de Montereau jusqu’en 1955. En 1967, la société change de statut, prend le nom d’« Établissement Boulenger, entreprise de revêtements » et s’établit rue Pajol, dans le 18e arrondissement. Aujourd’hui à Villetaneuse, Boulenger s’affirme comme le spécialiste du revêtement en caoutchouc coulé pour bâtiments publics, hôtels ou salles de sport. Un « créateur de sols » qui a également revêtu des dizaines de millions de mètres carré de sol du métro parisien. Après les petits carreaux, la boucle est bouclée !
Le 13 février 1978, sous l’impulsion de l’Union Centrale des Arts Décoratifs, l’ancien bâtiment de la faïencerie de Choisy-le-Roi devient le Musée de l’Affiche. L’aménagement a été confié à l’architecte Jean Prouvé, la direction du musée au critique d’art et collectionneur Alain Weill. L’exposition “Trois Siècles d’Affiches Françaises” ouvre le bal et une sublime affiche de Savignac annonce la naissance du lieu. Suivront des expositions consacrées à Loupot, Carlu, Ferracci, Folon, au mouvement Grapu ainsi qu’à des thèmes tels que le vélo en affiches à la fin du XIXe siècle (1979) ou les collectionneurs d’affiches (L’Affichomanie) en 1980. Cette première étape du musée de l’Affiche se termine avec une exposition Savignac, de février à avril 1982. L’institution va alors changer de nom, d’abord Musée de l’Affiche et de la Publicité puis simplement Musée de la Publicité. Une nouvelle appellation qui donne la possibilité de présenter un plus grand choix d’affiches publicitaires mais aussi du graphisme.
La transition se fera avec une exposition (du 12 mai au 20 juin) dédiée au graphiste Marcel Jacno, auteur notamment du paquet de cigarettes Gauloises et du logo du TNP. Suivront LU, l’Art et les biscuits (1984), une exposition des plus belles affiches Coca-Cola (1986), une autre des affiches de Mucha de la collection du tennisman Ivan Lendl (1989). Sans oublier, sous le regard du regretté Jean-Louis Capitaine, conservateur du musée de l’Affiche et de la Publicité, les expositions consacrées à Maggi, à Camel et aux chaussettes DD. En 1990, le fonds et le musée sont déplacés dans l’aile de Marsan du Palais du Louvre qui accueille le Musée des Arts Décoratifs, Rue de Rivoli.
C’est un personnage au parcours mouvementé qui, en 1991, rachète l’immeuble : Raphaël Doueb. Né en 1940, l’homme participe à la création du magazine Actuel de son ami Jean-François Bizot et dirige plusieurs sociétés immobilières. Bras droit de Danielle Mitterrand, rencontrée en 1973 lors de travaux Rue de Bièvre, il obtiendra la vice-présidence de sa fondation France Libertés. C’est avec l’envie d’exposer des talents contemporains, toutes disciplines confondues, souvent exclus des circuits traditionnels, qu’il choisit le 18 Rue de Paradis. Aménagé par l’architecte Bernard Bourgeois, « Le Monde de l’Art » est inauguré le 28 avril 1992 en présence de François Mitterrand, Isabelle Huppert, Marisa Berenson… La galerie expose les sculptures monumentales d’Andrey Lekarski, les œuvres d’Édouard Pignon, des Russes Ernst Neïzvestny, Oscar Rabine et Oleg Tselkov, de sept peintres indiens contemporains… Raphaël Doueb ne se refuse pas de louer l’espace pour des soirées branchées et le Tout-Paris se côtoie sous les verrières du 18 rue de Paradis. Mais l’affaire coûte une fortune, la galerie végète et la mort de Doueb, en juin 1998, lui donne un coup d’arrêt définitif. Le lieu accueille un temps la Galerie Paradis, diverses manifestations, des soirées événementielles, des défilés de mode… Avant de plonger dans l’horreur !
En 2011, après quelques mois de travaux, le lieu se métamorphose en Manoir de Paris, un parcours et des spectacles interactifs imaginés dans le seul but de vous effrayer ! À sa tête (non tranchée), Adil Houti, un Américain à Paris qui a fait ses armes au Texas en concevant deux attractions. Attiré par la Ville Lumière, mais également par sa noirceur, Adil Houti a souhaité mettre en scène des légendes parisiennes autour du concept de la maison hantée. Sur trois niveaux et près de 1500 m2, 35 comédiens interprètent Quasimodo, Le Fantôme de l’Opéra, le Masque de fer, le pâtissier sanguinaire et, bien sûr, le comte légendaire du Manoir de Paris qui hantait naguère les nuits de l’enclos Saint-Lazare, à quelques mètres de là ! Un divertissement pour vous glacer les sangs, animé en coulisses par une prodigieuse équipe de costumiers, décorateurs et surtout maquilleurs. En plus des légendes « made in Paris », Le Manoir ne manque pas de saisir toutes les occasions de vous faire peur, à commencer par Halloween. Âmes sensibles et enfants de moins de 10 ans s’abstenir… Sachez quand même qu’il vous sera possible d’apercevoir, sans prendre de risques, les céramiques de la faïencerie de Choisy-le-Roi… Elles sont mortelles !
Auteur : Vincent Vidal.
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