“Une façon particulière de regarder les choses avec une intensité singulière…” Il est agréable de commencer la lecture de cet “Autoportrait de Paris avec Chat” par une dédicace de l’auteur accordée après une heure d’un entretien fourmillant d’anecdotes dans le cadre enchanteur de sa résidence d’écrivain, un peu cachée à deux pas de la Gare de l’Est.
En préambule de cet entretien foisonnant avec Dany Laferrière en présence de Chrystel Dozias (responsable de cette résidence qui accueille tant d’écrivains étrangers), on découvrira que le jardin qui sert de cadre à cet entretien, où il sera beaucoup question de dessin, de cinéma et de littérature, a été dessiné par Vincent Van Gogh à l’occasion d’une visite au Docteur Gachet. Comme un signe malicieux, Vincent s’est glissé dans la conversation, comme un ami de l’auteur, aussi naturellement que le chat dont il est question tout au long de cet autoportrait en images.
J’apprends que le destin de ce livre s’est noué lors d’un repas, en quelques minutes avec son éditeur Charles Dantzig chez Grasset. Il y a en effet de quoi être transporté par l’audace d’un tel projet ! On ne parlera pas d’un livre d’art, ni d’un journal intime et encore moins d’un roman graphique, mais tout simplement d’un « livre ». L’auteur s’appliquera à décoller toute étiquette qui pourrait distinguer ce livre du reste de sa riche bibliographie. C’est pourtant d’un véritable OVNI littéraire, dont il s’agit. J’aurais du mal à trouver un équivalent mais j’ose un rapprochement avec Le Livre des Rêves du Maestro Fellini, qu’il aime tant. Cocteau surgit alors dans la conversation, accompagné par Ettore Scola et Dany me montre la 4ème de couverture où il écrit :
“Dessiner est une autre façon d’écrire. Soudain un chat apparaît. Puis une ville et c’est Paris.”
Puis il se met à rejouer la scène culte d’une file de cinéma dans le Annie Hall de Woody Allen en pensant à Fellini. Ne cherchons surtout pas à rationaliser quoi que ce soit, car c’est de plaisir dont il sera question tout au long de cet entretien. Ce même plaisir qui guide une lecture, emmenée par un trait enlevé et une écriture manuscrite incroyablement libre. Son dessin trouve peut-être ses racines dans la culture haïtienne ; on peut aussi évoquer Dubuffet, Alechinsky en passant par Copi, mais tout cela n’a aucune importance pour Dany. Tel le héros de Midnight in Paris de Woody Allen qui traverse le Montparnasse littéraire des années 20, Dany Laferrière part à la rencontre de ses fantômes littéraires et nous invite à prendre part à ses discussions de café avec Monsieur Chat.
On ne s’étonne plus de rien quand Villon fait un set avec MC Solaar, on croisera aussi la silhouette de Roland Barthes, Aimé Césaire, Boris Vian, Django Reinhardt, Joey Starr et tant d’autres personnages qui représentent Paris. Comment ne pas « tomber en amour » immédiatement pour ce livre et pour cet homme lumineux guidé uniquement par son plaisir. Son amour de la littérature, ses rencontres de bistrot où il laisse court à son imaginaire et à des observations judicieuses. Tout cela me donne l’envie de remonter le fil d’une riche bibliographie de plus de 26 titres dont la liste des titres est déjà un poème digne de Raymond Queneau, en commençant par celui qui le fit connaître en 1985 : Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Un vent de liberté a soufflé depuis son élection à l’Académie française, il réveille les immortels et ressuscite tous les autres. On pourra peut-être chanter un jour un nouvel hymne tous en chœur, de Port-au-Prince à Montréal, du quai Conti jusqu’au canal Saint-Martin où il a élu domicile. En attendant : « On se lève tous pour Dany ! »
Dany Laferrière de l’Académie française vous parlera de son nouveau roman entièrement rédigé à la main et riche de plus de mille dessins. C’est dans ce quartier du 10ème, où il a établi ses pénates, qu’il passe son temps à lire, méditer et même faire la cuisine. Il se promène dans un Paris féerique où il croise Sagan, Chanel, Basquiat, Villon, Doc Gynéco et une myriade de personnages de la vie quotidienne. Ce roman écrit dans ce style désinvolte et d’une folle originalité nous rassure sur la fraîcheur et la jeunesse du nouvel Immortel.
Autoportrait de Paris avec Chat : 320 pages, 23 €, Grasset.
Auteur : Michel Lagarde.
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