Canal Saint-Martin : le mystère du corps sans tête

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Suicide, accident, crime ? Chacun se pose la question quand on repêche un cadavre dans les eaux noires du canal. Le fait reste heureusement assez rare. Pourtant, il est arrivé qu’un même corps remonte deux fois à la surface. Pas vraiment en entier et à trente ans d’intervalle ! Notre enquête.

 

Dans son édition du 5 février 1925, Le Petit Parisien relate la découverte dans le canal d’un homme découpé en morceaux auquel il manquait la tête. Plus étrange et sordide encore, les différentes parties du corps étaient enveloppées dans des feuilles du journal L’Écho de l’Ouest, une gazette américaine et non pas bretonne comme son titre pouvait le laisser croire.

Pour retrouver la tête et identifier le cadavre, on a donc asséché un bief du canal sous les yeux de policiers, de journalistes et d’une foule de badauds avides de sensations fortes. Autant dire qu’on est allé de surprises en surprises. Car si un crâne humain a bel et bien été repêché, ce n’était pas celui recherché. À l’inverse du premier, il manquait le reste du corps qui, lui, n’a pas été retrouvé. Ensuite, on a exhumé des fonds vaseux tout un bric-à-brac insolite.

Le Petit Parisien en donne la liste : “Des cuillères en argent, des couteaux, des brosses, des chiens, un chat dans un panier bien clos, un pignon de bicyclette (…), deux grenades, un rasoir…” Des vestiges de cambriolages vraisemblablement. Mais aussi, “un ostensoir en or endommagé, deux encensoirs dont l’un en argent, un bénitier, des chandeliers”. À cela, il faut ajouter des familles d’anguilles qui se faufilaient entre les bottes des chercheurs ainsi qu’un brochet, des dorades et un thon grand comme un requin dans un état de fraîcheur relatif, balancé là, on le suppose, par un poissonnier. À la fin de cette journée, le cadavre sans tête conserva son mystère. Journalistes et badauds repartirent bredouilles sous une pluie battante.

L’affaire rebondit cependant en 1955, soit trente ans plus tard. Dans son roman “Maigret et Le Corps Sans Tête” Simenon s’attaque à son tour à l’énigme. Le film sera tourné en 1972, avec Jean Richard sous les traits du commissaire. Par un matin blême, Quai de Valmy, juste au-dessus de l’écluse des Récollets, un marinier découvre les morceaux d’un corps sans tête empêtré dans l’hélice de sa péniche. Maigret, pipe au bec, se rend Quai de Valmy dans la 404 break règlementaire de la maison Poulaga.

– Qui s’occupe de l’affaire ? demande-t-il à son adjoint.

– Judel, monsieur le commissaire.

– Oooh ! C’est pas un aigle celui-là.

Pour passer un coup de fil, Maigret pousse la porte du café d’Omer Calas situé à l’angle du Quai Valmy et de la Rue de Lancry, actuelle boutique Bensimon. Le patron n’est pas là. Voilà une semaine qu’il est parti chercher du vin dans le Poitou. C’est Aline, la patronne, interprétée par Suzanne Flon, qui tient ce troquet jauni par le temps et la fumée du tabac. Un chat roux mange sur le comptoir.

– Le vin blanc est bon ? demande Maigret.

– Oui.

– Donnez nous deux blancs alors !

Aline, petite femme émaciée et désabusée, taiseuse au possible, ne répond que par oui ou par non aux questions en rafale du commissaire qui n’a pas son pareil pour humer une atmosphère. Quelque chose ne tourne pas rond dans ce bastringue, mais quoi ?

– Elle vous intrigue ? interroge l’adjoint.

– Elle est pas à sa place, répond Maigret énigmatique.

En tirant sur la ficelle, notre limier national découvre d’étranges pratiques dans la cuisine, des violences conjugales ainsi que des secrets de famille enfouis sous le poids des ans, et pour finir, l’amant “un peu chauve avec des moustaches”, employé modèle d’une entreprise de transport du Quai de Valmy. C’était donc bien le corps d’Omer Calas qui empêchait la péniche de démarrer mais la tête, elle, restera introuvable. Le canal garde son mystère !

 

Plus d’informations sur le sujet dans le livre “Maigret et le Corps Sans Tête” de Georges Simenon (Presses de la Cité, 1955). Aussi, les nostalgiques du quartier revisiteront avec “plaisir” les lieux du crime : le quai pavé, les bistrots, les garages et entrepôts d’avant le parc, les voitures stationnées de guingois, les bords du canal sans arbres… Le film réalisé par Michel Cravenne peut être téléchargé sur INA.FR pour 2,50€.

Image : Antoine Meurant. Auteur : Guy Hugnet, journaliste spécialisé dans les enquêtes scientifiques et les affaires criminelles. Il a notamment écrit “Psychotropes, l’Enquête” (Archipel, 2012) ; “Affaire Raddad, le vrai coupable” (Archipel, 2011) et “Affaire de Ligonnès” (Archipel, 2018).

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